La quatrième révolution industrielle implique un changement de culture

DOSSIER USINE 4.0 En début d’année, Optimum Canada lançait la ligne de produits Piranha, des outils de coupe qui permettent à l’industrie aéronautique de faire l’usinage de pièces et de composantes.

Un grand nombre de dirigeants d’entreprises manufacturières se montrent encore sceptiques face au développement de l’usine 4.0.

«Pour avoir une plus grande part de marché et accroître notre présence à l’international, il fallait nous lancer dans la fabrication de produits tout aussi spécialisés, mais plus standards», explique Vincent Lemoine, directeur général de cette entreprise qui, jusqu’à ce jour, concevait uniquement des produits sur mesure.

Le lancement de Piranha a d’abord amené l’entreprise à revoir ses façons de faire, et l’usine 4.0 s’est imposée comme un nouveau modèle à suivre pour lui permettre d’arriver à ses fins. «Au départ, il y a eu une bonne réflexion pour mieux savoir ce que c’était que l’usine 4.0 et quelles seraient les étapes à suivre», indique M. Lemoine.

La relance de l’industrie manufacturière ?

L’usine de l’avenir est aux portes des industries manufacturières. Il est aujourd’hui possible de créer une usine intelligente où Internet, des capteurs sans fil, des logiciels et d’autres technologies de pointe sont utilisés de concert afin d’optimiser la production et d’améliorer la satisfaction des clients.

«Ces outils permettent à l’entreprise de réagir plus rapidement aux changements du marché, d’offrir des produits plus personnalisés et d’accroître son efficacité opérationnelle dans le cadre d’un cycle d’amélioration continue», signale une étude de la Banque de développement du Canada (BDC) intitulée «Industrie 4.0 : la nouvelle révolution industrielle», publiée en mai dernier.

En autorisant une communication instantanée entre les différents équipements de production et les postes de travail intégrés dans les chaînes de fabrication et d’approvisionnement, l’usine 4.0 «devient plus agile et permet d’adapter les procédés ou de répondre à la demande des clients et des fournisseurs en temps réel», fait valoir Dany Charest, conseiller manufacturier chez STIQ, une association d’entreprises québécoises qui vise à améliorer la compétitivité des chaînes d’approvisionnement manufacturières.

L’usine 4.0 permettrait même de relancer l’industrie manufacturière, dont le déclin s’est grandement fait sentir ces dernières années, ajoute son collègue Olivier Thomas, conseiller manufacturier chez STIQ. «Ce n’est pas la panacée, mais l’industrie 4.0 peut faciliter la production de masse à moindre coût pour mieux rivaliser avec des pays comme la Chine», dit M. Thomas.

L’usine connectée repose en partie sur des équipements et des outils qui sont offerts depuis plusieurs années déjà : systèmes de gestion et de processus ERP ou MES, logiciels de conception et de fabrication assistées par ordinateur, capteurs, automates, robots.

«Oui, il y a de nouvelles technologies, mais on parle depuis longtemps d’automatisation. L’usine 4.0, c’est l’intégration de tous ces systèmes alors qu’il est maintenant plus facile de connecter les équipements et les systèmes de gestion pour collecter, analyser des données et réagir en temps réel», dit Sébastien Houle, directeur général de Productique Québec, un centre collégial de transfert technologique qui aide les entreprises à améliorer leur productivité en favorisant notamment l’acquisition et l’appropriation de technologies numériques.

Des stratégies numériques à adopter

Cette évolution industrielle n’est toutefois pas qu’une affaire de programmes informatiques. Elle implique avant tout un changement dans la culture et la vision de l’entreprise.

«Il ne faut pas s’attendre à ce qu’un logiciel vienne tout révolutionner. Le virage numérique passe d’abord par une nouvelle stratégie d’affaires. Les entreprises élaborent des stratégies opérationnelles et de marketing pour se développer. Maintenant, elles doivent aussi adopter des stratégies numériques», estime Benoît Cormier, ingénieur industriel et fondateur de la firme Groupe Lead Management (GLM), qui aide justement les entreprises à prendre ce virage.

Or, il y a encore de grandes lacunes à combler dans les pratiques de gestion avant de se lancer dans une démarche 4.0, constate Dany Charest. «Une entreprise peut déployer un logiciel pour recueillir des informations sur la planification et la productivité, mais ça ne servira à rien si elle n’a pas au préalable implanté des systèmes d’indicateurs de performance. Pour ajouter une couche technologique, il faut d’abord avoir mis en place des systèmes de gestion efficace», précise-t-il, en ajoutant qu’il faut aussi faire une analyse réelle de ses forces et et de ses faiblesses.

L’entreprise ne doit pas non plus être gérée en vase clos. «Les équipes qui s’occupent des technologies de l’information et celles de l’ingénierie, qui gèrent la production, doivent se parler et ne doivent plus travailler chacune de leur côté», suggère Olivier Thomas, en citant l’exemple d’une entreprise qui a nommé un vice-président Architecture chapeautant l’ensemble de ses activités et s’assurant que tout le monde travaille dans la même direction.

Le jour n’est d’ailleurs pas loin où une entreprise nommera «un vice-président aux technologies numériques qui aura une voix au sein de la haute direction», dit Gilles Charron, directeur au développement des affaires de Productique Québec.

Un audit… numérique

La démarche 4.0 passe aussi par un audit numérique. «Il faut faire un diagnostic des actifs numériques pour déterminer la maturité numérique de l’entreprise», soutient Gilles Charron.

Productique Québec pilote d’ailleurs depuis le début de l’année un projet d’audit des technologies numériques. L’Audit Industrie 4.0 vise à accompagner des PME manufacturières dans les enjeux de la transformation numérique. Ce diagnostic est d’autant plus important qu’un grand nombre de dirigeants d’entreprises manufacturières se montrent encore sceptiques quant au développement de l’usine 4.0.

«Certaines entreprises ont eu de mauvaises expériences avec des systèmes de gestion ERP dont l’implantation s’est échelonnée sur plusieurs années avec des coûts beaucoup plus élevés que prévu», dit Olivier Thomas.

Sans compter que plusieurs dirigeants «se demandent si l’usine 4.0 n’est pas juste un concept de marketing inventé par des fabricants d’équipements qui veulent vendre leurs produits dernier cri ou encore par des concepteurs de logiciels qui veulent s’assurer de vendre les dernières versions mises à jour», constate Dany Charest.

Pourtant, l’impact du virage 4.0 sur le secteur de la fabrication promet d’être remarquable, estime l’étude de la BDC, qui constate les retombées positives du passage au numérique en Europe et aux ÉtatsUnis, où des usines hautement automatisées peuvent désormais se mesurer aux usines à faible coût de l’Asie.

Pierre Théroux, LES AFFAIRES 

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